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L’illusion

L’illusion

Richard et la posture commerciale

Il s’agit d’une séance de démonstration avec 6 participants, et 4 observateurs (dont nous). L’animateur est réputé. Un client s’est proposé. (Nom et situation sont transposés).
Durée : une heure

La Séance
Animateur : “Nous sommes là pour aider à résoudre et apprendre”
Etape 1
Client : C’est la confusion dans ma tête. Mon objectif, c’est de démystifier la posture commerciale. J’ai ouvert un cabinet, Il y a quatre ans, à Grenoble.
Je dispose d’un bon réseau, ce qui m’aide pour mon activité.
Mon problème c’est d’adopter une posture commerciale.
Mon réseau ne suffit plus. Je dois adopter ce savoir être.

Etape 2
Animateur : Et on pose des questions pour soi et pour lui, concernant la problématique, la personne et le contexte. Mais commençons par les faits.

Question d’un consultant : Quel est le résultat attendu ?
> Réponse du client : Avoir une posture alignée, parce que j’apporte de la valeur à mes clients
Q : Que vends-tu ?
> : De l’accompagnement managérial
Q : Quel type d’accompagnement ?
> : Global, avec du collaboratif, du coaching d’équipe, de la facilitation
Q : Tu as une équipe ?
> : Il y a trois personnes proches et je fais appel à des compétences du réseau
Q : Quel est ton enjeu ?
> : Développer. Le réseau ne suffit plus
Q : Tu prends des précautions ?
> : Oui j’anticipe
Q : Et pour trouver des clients ?
> : Ils sont contactés par le réseau
Animateur : Ton ambition ?
> : Pas spécialement grossir mais surtout développer ma réputation
Animateur : Ton chiffre d’affaires futur ?
> : Multiplié par trois
Animateur : Des freins ?
> : Quand j’étais responsable formation, j’ai été très sollicité par les cabinets. Je me disais “Encore un commercial qui vient…”
Animateur : Qui vient te déranger ?
> : Non. J’ai travaillé là-dessus
Animateur : Comment tu perçois cette nouvelle demande de repositionnement ?
> : C’est un devoir, je dois préparer
Q : Il te faut faire du démarchage ?
> : Je n’avais pas le temps, mais s’il y a un problème d’argent, de business, alors ce sera un souci, bien que je sois facile de contact.
Animateur : Peux-tu me citer une expérience réussie de changement de savoir-être ?
> : (Il cherche)… Passer de professionnel salarié à consultant
Animateur : Que s’est-il passé pour réussir ?
> … Ce n’était pas de la vente Fin des questions après 15 minutes

ETAPE 3
Animateur : On va procéder en deux temps. Chacun formule par écrit la réflexion qui vient sur la demande du client …. puis on partage quelques idées….
Consultant X : Je pense que ta demande c’est : “Comment vendre sans être inconfortable”
Consultant Y : Pour moi c’est “Etre en mesure de présenter mon offre”
Animateur : Alors, quelle est ta demande ?
> : Avoir une posture commerciale.
Animateur : Oui, qui marche. (Il écrit la demande au tableau de papier)

ETAPE 4
Les consultants produisent leurs idées et réflexions :
– Venir à deux
– Challenger ton offre, la présenter
– Faire un mix entre ton réseau et cette posture
– Faire une conférence et présenter ton offre à ton réseau
– Associer le client à ta réflexion
– Si tu es à l’aise sur le contenu de l’offre, ce sera plus facile
– Organise des petits déjeuners commerciaux
– Sous-traite la prise de rendez-vous
– Demande à ton réseau de t’indiquer les contacts
– Animateur : il existe plusieurs modèles de savoir-être commercial. Identifie des gens que tu admires
– Animateur : pour définir une posture commerciale, il faut que tu voies toutes les tâches que cela comprend. Fais l’inventaire
– Réunis ton réseau ou un public, Après le travail
– Animateur : vois ton rapport à la notion de désir, les plus et les moins pour toi
– Te différencier par rapport à la concurrence
– Réfléchis à comment multiplier ton chiffre d’affaires, à ton besoin
– Identifie la posture commerciale à un verbe. Ce serait lequel. Et cale toi sur ce verbe.

ETAPE 5
Animateur : Prends 2 minutes. Les autres réfléchissent à l’étape 6 : Comment j’ai vécu la séance, si elle a été efficace et ce que j’en tire pour agir.
> : Je retiens :
. Sous-traiter les rendez-vous
. Utiliser mon réseau pour les démonstrations et les services gratuits
. Dégrossir le rôle de prospection
. Faire une expérience avec le verbe de mon choix
Animateur : Alors bonne chance. De quoi vas-tu être fier ?
> : De démontrer que ça a été utile
Animateur : Qu’auras-tu fait d’ici un mois ?
> : J’aurais tout fait
Animateur : Parfait

ETAPE 6
Animateur : Qu’as-tu appris ?
> Intéressant de faire une prise de conscience de quelque chose qu’on sait. Cela permet de franchir une étape. C’est super de s’autoriser à travailler ses croyances, pas que les recettes
Animateur : Et vous ? (S’adresse aux participants)
– J’ai des éléments pour pratiquer le Codéveloppement
– Bonne méthode, et penser à un verbe pour concrétiser
– Envie de faire quelque chose
– J’ai apprécié de voir toutes ces idées


Observateurs :
– Le rôle d’un animateur est important
– Beaucoup de bienveillance
– La reformulation du contrat, intéressant
– Le rôle du collectif par rapport à d’autres méthodes
– On a questionné le blocage du client
– Est-ce qu’on n’aurait pas pu faire plus de rebonds entre nous ?
Animateur : On empêche les débats
– Ah, c’est efficace

Premier commentaire
La première conclusion, évidente, est que tout le monde est satisfait. Le déroulement est fluide, rythmé. Aucun temps mort, ça donne une impression d’efficacité rapide. Et le climat est bon. Maintenant regardons de plus près

Le positif : on a bien les bases d’une séance de Codéveloppement :
– On part d’une situation, on réfléchit sur l’action.
– On est entre pairs
– On est au service du client dans les 5 premières étapes
– On tire les leçons en étape 6

Le surprenant :
Pas acteurs.
Les participants devraient être “acteurs” dans la séance. Or le rythme ne permet pas de réagir pour être vraiment acteur et co-responsable, s’interroger, douter, s’étonner. Il n’y a pas d’espace pour cela.

On ne comprend pas et on ne cherche pas à comprendre
Pas de question sur ce que veut dire “posture commerciale”, notion pas concrétisée : on ne sait pas ce qui se passe : Manque d’arguments ? Manque d’assurance ? Peur de déranger des inconnus ? Peur du téléphone ? Ne sait pas interviewer ? Etc.
On trouve une bonne question sur le problème, posée par l’animateur : “Des freins ?”
On croit alors comprendre que la difficulté est d’oser déranger, mais à peine évoqué, le client dit que c’est résolu. Et on n’ose pas …le questionner davantage.
Le client débute par une expression forte (“confusion”). Il y a là quelque chose à faire clarifier (pensée et émotion du client). On n’y revient pas. D’ailleurs le rythme ne permet pas d’y revenir.

Quel est le problème ?
On ne connaît finalement pas la difficulté concrète du client. Rien de factuel.
On sait encore moins ce qu’il en pense et ce qu’il a déjà fait pour la résoudre.

Apprentissages pour le client ?
Les apprentissages du client semblent bien vagues :
> une prise de conscience de quelque chose qu’on sait (quoi donc ?)
> ça permet de franchir une étape (Laquelle ?)
> s’autoriser à travailler ses croyances (lesquelles ?)

Apprentissages pour les participants ?
On ne regarde pas l’ensemble de la séance, qui aurait permis de constater qu’on n’a pas eu de faits et qu’on n’en a pas cherché non plus (bien que demandés).
Pas de vraie réflexion sur ce qui s’est passé, sur le questionnement, sur l’efficacité, sur la qualité de réflexion. Pas d’espace pour cela.


Bilan de la séance
On n’a pas identifié la difficulté, on sait encore moins ce que le client a déjà tenté, ce qu’il en pense et comment il le vit.
On ne l’a pas éclairé, on peut encore moins l’aider. De fait, les suggestions partent dans tous les sens.
On n’a pas appris ni à questionner ni à réfléchir.
Il s’agit donc d’une séance sympathique et … inefficace.
Fort heureusement, le problème n’était pas aigu…

Cette séance n’est qu’un exemple. Nous avons connaissance de nombreuses séances de ce type dans lesquelles la difficulté n’est pas identifiée, pas comprise, pas éclairée. Le questionnement s’égare, la demande n’est pas comprise et les propositions forment un joyeux brain-storming, sans vraie pertinence.
La séance est “”à côté de la plaque”.

Et pourtant, la satisfaction est générale…
Nous sommes donc en présence d’une illusion inquiétante.
Comment expliquer cela ? Assez simplement, semble-t-il : on travaille en petit groupe, on découvre une préoccupation intéressante, la confiance du client nous touche, le client se sent écouté, le climat est bienveillant, chacun apporte sa contribution et se croit utile, la satisfaction du client donne de la reconnaissance et de la fierté à tous, personne n’a été contredit : c’est donc une expérience très gratifiante. Et pour tout le monde cette satisfaction (relationnelle) est une garantie qu’on est efficace.
Il m’est arrivé de dire à un animateur : « Cette séance me paraît nuisible pour le client » et il m’a répondu : « Pas du tout, la preuve est que le client est très satisfait ».
Et comme, de cette manière, à chaque séance on se sent satisfait, on se croit automatiquement efficace. Ce qui fait croire à beaucoup que le Codéveloppement « marche » à tous les coups, que l’intelligence collective est toujours là. C’est devenu magique.
Ce constat est préoccupant, surtout quand on sait que des problèmes difficiles sont posés : problèmes de « burn-out », de maltraitance, de conflits durs, de projets en danger, de gestion de crises… Or, certains praticiens ont une vision idyllique du Codéveloppement, leur faisant même croire qu’on peut tout traiter sans difficulté. Puisque “tous sont satisfaits”
Les problèmes humains sont souvent délicats, complexes, paradoxaux, parfois douloureux. Pourquoi deviendraient-ils tout simples, comme par magie, quand ils se retrouvent dans une séance de Codéveloppement ?
Il serait temps de trier entre, d’une part, la satisfaction apparente, illusoire et d’autre part, l’efficacité et la réflexion collective et individuelle.

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