Coup d'œil sur le "Codéveloppement Flash" ou Flash Codev
35 minutes
Dans cette période où l’on vante l’agilité, on voit fleurir des dispositifs qui disent se rapporter au Codéveloppement professionnel tout en annonçant être beaucoup plus rapides.
On trouve sur Youtube une présentation d’un de ces dispositifs, une séquence intitulée “Codéveloppement flash”.
Voici une bonne occasion pour s’en faire une idée.
La méthode est présentée dans ses étapes :
1. Exposé client (3 mn)
2. Clarification de la demande : questionnement (7 mn)
3. Réflexion individuelle : rédaction des propositions sur post-it (10 mn)
4. Consultation (lecture des propositions) (10 mn)
5 Options retenues par le client (5mn)
Ainsi la durée moyenne serait de 35 mn
On comprend qu’il n’y a pas d’animateur, le petit groupe de 5 ou 6 participants s’organise seul.
Des exemples de sujets sont présentés :
– Comment mobiliser mon équipe sur un salon ?
– Comment former et intégrer un nouveau collaborateur ?
etc.
Une séance-exemple
On peut avoir le sentiment qu’il s’agit non pas de situations réelles concrètes mais de situations-types pour lesquelles on recherche des idées-types.
Cependant, un exemple détaillé est fourni, présenté comme une situation de préoccupation concrète réelle. Voici le déroulé de l’exemple.
Le sujet : “Comment augmenter l’impact de ma réunion hebdomadaire ?”
Etape 1 : exposé
Je suis directrice commerciale d’une entreprise qui possède de nombreux points de vente.
Tous les lundis matin, j’organise une réunion avec les directeurs de zones pour faire un bilan chiffré de la semaine, bilan humain, problèmes, analyse des opérations commerciales et pour lancer l’activité de la nouvelle semaine.
C’est une réunion difficile à piloter, les participants parlent en même temps, leur attention est volatile, la qualité de leurs analyses inégale et ils ont le sentiment que les remontées du terrain sont peu ou pas entendues.
Comment améliorer cette situation ?
Etape 2 : Clarification
Exemple de questions :
Quel est l’objectif principal de cette réunion ?
Combien êtes vous ?
Qui pilote la réunion ?
Qu’est-ce qui marche bien ?
Que voulez-vous changer ?
etc.
Dans les réponses, il est noté :
– 3 directeurs de zone ne sont pas présents et parlent en audio-conférence
– 10 participants en tout
Etape 3 et 4 : les post it
⦁ Envoyer l’ordre du jour de la réunion le vendredi matin et retour des participants le vendredi soir
⦁ Rédiger en direct un compte rendu de la réunion avec relevé de décisions. Le transmettre dans la foulée.
⦁ Envoyer copie du compte-rendu aux membres du codir
⦁ Utiliser un outil de classe virtuelle pour distribuer la parole
⦁ Faire intervenir un participant sur un sujet préparé par lui à l’avance
⦁ Faire participer un intervenant externe
⦁ Faire la réunion à 11H le lundi pour que les participants puissent préparer
⦁ Sortir de la réunion les sujets individuels
⦁ Faire une réunion pour organiser le travail de préparation de chacun
⦁ Ne pas utiliser la réunion pour communiquer l’analyse des résultats
Etape 5 : Options
La cliente retient 4 des différentes suggestions
Notre commentaire
On peut avoir l’impression d’une séance productive :
– il y a eu des idées
– la cliente a retenu 4 points
– elle va agir,
…. Donc tout va bien ?
Maintenant regardons de plus près
– les participants parlent en même temps…
C’est une difficulté pour la cliente. Mais comment s’explique cette difficulté ?? La cliente, Directrice commerciale, ne gère pas le débat ? N’a pas d’autorité ? Est toute récente et n’ose pas s’imposer ? Qu’a-t-elle déjà tenté ?
Ou bien les Directeurs de Zone, vieux briscards, font tout pour saboter la réunion ?
Ou quoi encore ? On n’a rien pour comprendre et on ne cherche pas à comprendre.
– leur attention est volatile
Ah ! Comment explique-t-elle cela ? Problème médical ? Sujets pas intéressants ? Agités par autre chose ? Lié à l’indiscipline des débats ? Ont plutôt envie de se détendre avec le plaisir de se retrouver ?
Ou simplement ne veulent pas écouter le discours de leur directrice ?
– La qualité de leurs analyses est inégale
Ah ! Toujours à cause de l’indiscipline ? Ou par désintérêt ? Parce qu’ils sont limités ? Parce qu’ils n’ont pas intérêt à faire ressortir leur part de responsabilité dans les résultats ?
– Ils ont le sentiment que les remontées du terrain sont peu ou pas entendues
Ah ! De quoi s’agit il ? Pas entendus dans la réunion ou pas entendus de toute façon ? On ne tient pas compte des obstacles qu’ils rencontrent ? Ils manquent de moyens ? Ils objectent cela au moment où on parle de leurs résultats ?
On a là 4 difficultés différentes :
On ne sait pas si l’une est plus importante que d’autres
On ne sait pas si elles sont indépendantes les unes des autres ou si, au contraire, elles sont liées
On ne sait pas si c’est nouveau ou si c’est comme ça depuis 5 ans ou comme ça depuis un certain changement
On ne sait pas si ce sont de simples constats ou si on a affaire à une dynamique d’ensemble
Imaginons un exemple de dynamique : Cette nouvelle directrice a reçu une incitation forte du DG à mobiliser sur les résultats. Cette focalisation sur les résultats indispose les participants qui se sentent trop mis en cause : ils contestent les analyses et mettent en cause le manque de moyens sur le terrain. Et ils sabotent la réunion.
(Ou tout autre scénario à imaginer)
Donc, on n’a pas de compréhension de la situation, de son contexte, de sa signification
On ne sait rien de ce que la cliente a fait pour résoudre, comment elle analyse et comment elle vit la situation, son management, son analyse, ses croyances.
Dans le cas présent, l’étape 3 est un simple petit brainstorming ou un échange de pratiques qui tire au hasard, à partir de quelques a priori tels que :
– c’est parce qu’ils ne préparent pas
– c’est parce qu’ils ne participent pas à l’ordre du jour
– c’est parce que des sujets individuels encombrent la réunion
– etc …
Bilan
– pas de vraie réflexion, pas d’intelligence de situation, pas de compréhension du problème ni de ce que pense, fait ou vit le client, pas de stimulation de la réflexion du client.
– uniquement des apports de suggestions, mais sans analyse de problème
– au final on y apprend plutôt à… “ne pas penser” !
Cela dit il n’y a pas aucun mal à ce que des personnes fassent un travail de groupe qui leur convient, une sorte de rapide brainstorming au hasard, à partir de quelques constats épars. C’est bien leur droit.
Le gros point préoccupant est qu’il n’y a aucune raison d’appeler cela « Codéveloppement » : ça n’a aucun rapport. C’est même l’opposé d’une démarche réflexive…
Finalement, il y a tromperie sur l’étiquette et sur la marchandise et sur les effets.