Dans cette note, nous commentons une pratique présentée dans un ouvrage intitulé “Le Codéveloppement professionnel, Guide du facilitateur” de Rodhain, Margarita, Denayer, Schacherer, aux éditions Yves Michel.
Une présentation plaisante
L’ouvrage se présente comme un petit livre illustré et coloré, plaisant à lire. Il déroule les 7 étapes et les lecteurs qui ne connaissent pas le Codéveloppement auront le sentiment de se repérer. Le style est alerte et fluide. Mais des points d’alerte à signaler !
Positions du guide du facilitateur (GF)
Brain-storming de questions
GF : En étape 2 de clarification, les conseils semblent quantitatifs :
“Utiliser une grande variété de questions”- “Explorer le plus large possible”- “Obtenir un maximum d’informations”- “Diverger”.
Notre conception au Cecodev (CE)
CE : Comme s’il s’agissait de faire un simple brainstorming de questions, alors que, pour nous, cette étape requiert une exploration vigilante et raisonnée : on a certes une variété d’angles mais surtout, on cherche ce qui pose question au client, ce qui gêne, pourquoi cela gêne, comment cela gêne, quelles sont les conséquences, pour qui, qu’est-ce qui empêche de résoudre, etc.
On cherche aussi le raisonnement du client sur la situation et la difficulté, son regard, ses valeurs, ce qu’il se dit, à quelles options il a pensé, etc. Il s’agit donc de faciliter un travail de clarification attentif et non pas un brainstorming de questions.
La question du regard systémique
GF : Ce guide insiste pour expliquer que l’on recherche “un équilibre entre le focus sur la situation et sur la personne”. Ou encore que “la personne est l’élément majeur de la dynamique à l’étude”.
CE : Pour nous, en Codéveloppement, on ne se focalise pas sur la personne mais bien sur l’interaction entre la personne et la situation. Apprendre à regarder, non pas juste la situation, non pas juste la personne, mais bien l’interaction, est pour nous un point majeur d’apprentissage.
Magie
GF : On trouve dans ce livre nombre d’évocations de “l’Intelligence Collective”. Il est souvent question de “la magie de l’intelligence collective”, de la “puissance des questionnements”, de “la formidable puissance du groupe”; Comme si c’était une vertu automatique des groupes… Hélas, aucun récit détaillé de séance, dans l’ouvrage. Difficile d’apprécier ces affirmations. Rien sur le repérage des erreurs ni sur la rigueur d’un raisonnement.
CE : S’il doit y avoir “intelligence collective” elle est toujours le résultat d’un travail patient, progressif et rigoureux de tous. Les groupes, comme les personnes, commettent beaucoup d’erreurs avec les meilleures intentions. Il ne suffit pas d’être en groupe et bienveillant pour que les erreurs disparaissent, ce n’est pas magique.
Selon nous, en Codéveloppement, la première intelligence est d’identifier et de bien comprendre la problématique posée par le client.
Etape 3 (La demande)
GF : Ferme sur son besoin
L’ouvrage insiste sur ce point :
“Le client indique avec quoi il veut repartir” – “Ce dont il a besoin”
“Pour se faire aider, il faut être clair sur son sujet et sur ses attentes”
Le client est invité à être “ferme sur son besoin”
CE : Notre vision est à l’opposé. Un exemple : Un technicien expert d’un métier est promu manager d’une équipe comportant maintenant plusieurs métiers. Il croit, dans sa logique, que pour être un bon manager, on doit être expert des métiers qu’on encadre. Il dira que son “attente”, son “besoin”, ce “avec quoi il veut repartir”, c’est “comment devenir rapidement expert des autres métiers, sinon ” je n’ai pas de légitimité” (Il est prisonnier de sa croyance).
On voit que suivre “l’attente du client”, qui lui doit être “ferme sur on besoin” est un contresens. C’est au contraire sa perception de “son besoin”, “son objectif”, qui doivent pouvoir être challengés et évoluer. Sinon, risque de “plus de la même chose qui ne marche pas” et de le mener vers une impasse. L’étape 3 ne doit pas rigidifier ce qui doit pouvoir être mis en question. Erreur grave qui peut être nuisible au client et à la séance.
Etape 4 (Consultation)
GF : Maximum d’options
L’ouvrage recommande :
“Offrir un maximum d’avis de solutions”.
“Que le client parte avec un maximum d’options différentes”.
“Pression sur la recherche de la diversité plutôt que sur le résultat”.
“On laisse les participants parler, parler encore et encore et rebondir sur la parole de l’autre sans demander d’avoir une direction bien précise”.
“Une quête : la divergence pour la créativité”.
CE : Le parti pris de quantité fait à nouveau penser au brainstorming. Pour nous, le Codéveloppement est bien différent : on ne recherche ni la quantité ni la créativité par principe, mais on accompagne une réflexion, on recherche la pertinence par rapport à un problème identifié, on challenge un raisonnement, on assouplit des points de vue, on questionne une logique, avec vigilance et précision. Certes on diverge, mais ce n’est pas tous azimuts, mais selon une logique, une compréhension, un changement d’angle raisonné.
Quatre pépites.
Un chapitre annonce “quatre pépites”. Ces “pépites” se veulent des moments choisis qui frappent le lecteur, mais elles posent gravement question.
Pépite 1. L’acteur oublié
GF : – Une cliente s’aperçoit qu’elle a oublié un acteur dans son récit. (Comme cela arrive dans bien des études de cas). Elle dit “C’est horrible, je l’ai rendu invisible”.
Cliente troublée et tous s’émeuvent de cet oubli. En conclusion, l’auteur indique : “Terminée pour elle l’accusation des éléments extérieurs”.
CE : Oublier un acteur nous paraît simplement banal et instructif. Nous ne souhaitons pas que les participants se prennent pour des psys, avec l’émotion ambigüe d’avoir levé un “lapsus” ou un “acte manqué”. Ni pour un jury qui repère les responsabilités. Il s’agit pour nous plutôt d’apprendre à aider avec respect une personne dans ses raisonnements et ses stratégies. Les angles morts sont des occasions d’apprendre, pas des fautes.
Pépite 2. Il a été mon collaborateur
GF : – Une participante entend que le récit de la cliente, (sa collègue par ailleurs, car on est en intra-entreprise) parle d’un collaborateur qu’elle a eu, elle aussi, sous ses ordres. Et on découvre – mais après la séance – qu’elle s’en émeut (elle part en fin de séance en sanglotant).
CE : En intra-entreprise, nous sommes très attentifs, par méthode, juste après l’étape “Un”, à refaire régulièrement le point sur le confort de chacun quand ils découvrent les acteurs de la situation, ils risquent de les connaître et pourraient éventuellement être gênés, d’une manière ou d’une autre, dans leur participation. C’est un moment indispensable d’ajustement avec délicatesse. Sans cette précaution élémentaire, on court des risques importants comme on le voit.
Pépite 3. Un cran plus loin
GF : – Une cliente réservée, en étape 3, incitée par l’animateur, finit par s’écrier : ” Je veux exister !”.
L’animateur, en effet, a décidé, selon ses termes, “de la pousser un cran plus loin”.
CE : Exercer une pression sur la cliente et “pousser” sa demande, c’est “vouloir pour l’autre” et exercer une emprise. Nous sommes particulièrement attentifs à respecter et faire respecter l’autonomie du client. Les situations d’emprise sont préoccupantes et ne sont pas rares.
Pépite 4. Suicidaire
GF : – Une cliente déclare “Je suis suicidaire”. L’animateur pense alors “nous y voilà”, signifiant ainsi qu’il se trouve devant une problématique bien délicate comme cela arrive de temps en temps. Il ajoute “To be or not to be”.
CE : Nous comprenons que la déclaration de la cliente impressionne le groupe. Et aussi le lecteur. Cependant, dans ce type de situation, nous serions avant tout attentifs à rester rigoureux sur la méthode. Surtout s’agissant d’un guide. Et tout d’abord ne pas confondre les données de la situation avec la problématique : “Je suis suicidaire” est une donnée, impressionnante mais ce n’est pas LE problème. En effet, cela ne dit pas la question que la cliente se pose (Sortir d’une situation douloureuse ?
Trouver un bon psychiatre ? Pour nous, une déclaration, parce qu’elle est intimidante, ne doit pas automatiquement devenir le sujet en soi de la séance. Nous demanderions de manière progressive et délicate : “Et quelle est la question que tu te poses ? Vers quoi veux-tu aller ? Qu’est-ce qui empêche ?”. Donc d’abord apprendre à animer avec méthode. Enfin nous serions attentifs à délimiter dès le départ le champ des sujets.
Tous les sujets n’ont pas leur place dans n’importe quel groupe. Cela fait partie du cadre. Définir et tenir le cadre est une compétence d’animation importante pour un futur facilitateur.
Nuances
Signalons aussi quelques affirmations du livre, à nuancer !
- Non, le client n’a pas à affirmer qu’il a besoin de ses pairs. Il n’en a pas “besoin”. On ne vient
pas en Codéveloppement parce qu’on a un problème, avec un “besoin” de se faire aider.
C’est le groupe qui a besoin que l’un des participants fournisse un échantillon de pratiques. - Claude Champagne n’a pas été professeur à l’ENAP du Québec et n’a pas non plus découvert le Codéveloppement dans les années 80.
Il rencontre le concepteur Adrien Payette en 1994 et ils co-écrivent en 1997. (Payette invente seul la méthode dès 1985). - En étape 4, la suggestion projective “Moi à ta place …” n’appartient pas au
Codéveloppement mais aux Groupes d’analyse de pratique fondés sur la méthode
analytique, pour inviter justement à des interventions projectives.